DU VÊTEMENT COMME MATIÈRE

Mémoire gardée au creux des fibres, victoire sur l’éphémère.

De vieux vêtements à jeter, fibres deux fois mortes, poids, inertie d’un habit vide, à peine retenu ou fixé point à point, pour suggérer la lumière, l’élan, l’invisible éclat du vivant.

 

Quelle démarche ? Une interview prise lors de la Triennale Internationale de Arts Textiles en Ouatinais (Canada) qui explique la démarche de Françoise Carré.

Carrés

4 carrés à poser sur un mur, chemises et petits points.

 
Chemise, compagne de l’intime, qui protège et cache le centre vital de l’Homme, cœur, poumon, ventre, que la transpiration imprègne, marque au saumâtre de son ADN, nuit et jour, et depuis les langes jusqu’au suaire.
Paradoxe que cette chemise, qui accompagne le corps dans tous ses mouvements et le fige tout autant, dans une fonction, un métier, une position, un genre.
Qui se salit comme un linge de corps et s’exhibe comme une marque sociale. Le blanc de la toile pour couleur de peau, et le maintien du col pour le rang qu’on se donne.
Qu’y a-t-il de plus codé qu’une chemise ?
 

Paysages

Faire un ciel de vieux vêtements rassemblés,
Une mer ondoyante sous la gifle d’une vague,
Suivre l’élan d’un vert s’étirant sur le ciel,
La ligne de grève filant vers l’horizon mouvant.

Combien de verts pour un bout de campagne ?
Peut-on rendre l’éclat de la feuille, la vibration du saule, l’épaisseur humide des mousses ?
Comment saisir la légèreté d’un nuage nageant sur la risée d’une brise ?
Les bleus de la lumière que ciel et mer s’échangent dans les reflets de leur miroitement ?

Eclat, fluidité, souffle, rythme,
Comment entendre, pour mieux retenir, l’incessant mouvement du vivant ?

Géants

 
Comme les miroirs gardent en leur âme les regards de ceux qui les ont interrogés, les vêtements portent à jamais dans leurs fibres, l’empreinte des corps qui les ont habités.
Ils gardent en mémoire, les plis des articulations, les tensions des mouvements, la moiteur des émotions, le chaos des danses, les cris retenus.
Ils gardent, au fil de leur usure, la trace des êtres qui les ont portés, de leur passage.
Et passant de l’un à l’autre, ils en deviennent eux même la trace.
De l’homme ou du vêtement, qui est le passeur ?